
Mémoire coloniale au cœur de Hanoï
- Mis à jour le 28 Mars, 2025 Par: Rivière
Marcher dans les rues ombragées de l’ancien quartier français de Hanoï, c’est plonger dans un autre temps, celui où les parfums de croissants chauds s’échappaient des boulangeries coloniales, où les dames en robe longue croisaient les mandarins vietnamiens en costume traditionnel. Ce quartier raffiné, né sous l’impulsion des urbanistes français au tournant du XXe siècle, conserve encore aujourd’hui une atmosphère singulière, à la croisée des mondes.
Une architecture pensée comme un manifeste colonial
L’histoire du quartier français de Hanoï commence en 1873, lorsque les troupes françaises s’installent à Hanoï. Déterminés à asseoir leur pouvoir, les colons voient dans l’urbanisme un outil stratégique. Ils imaginent alors un quartier flambant neuf, au sud et sud-est du lac Hoan Kiem, selon les principes de la ville-jardin : aérée, verdoyante, où l’eau et la nature sont omniprésentes.
Contrairement au Vieux Quartier aux ruelles sinueuses et à l’agitation constante, le quartier français se veut ordonné, rectiligne, presque majestueux.
Des rues perpendiculaires sont tracées, des bâtiments officiels surgissent, et bientôt, les villas de style haussmannien s’élèvent, arborant balcons en fer forgé, volets en bois et jardins soigneusement entretenus. Pour montrer leur autorité, les Français n’hésitent pas à faire table rase du passé : une pagode bouddhiste millénaire, fondée au XIe siècle, est rasée pour ériger en 1886 la cathédrale Saint-Joseph.
Ce geste symbolique illustre toute l’arrogance coloniale. Imposante, avec ses tours néo-gothiques et sa façade grise, la cathédrale devient l’emblème d’un nouveau pouvoir. Un témoin raconte que, lors de la première messe de Noël, les fidèles vietnamiens observaient le bâtiment à distance, intrigués, intimidés, parfois indignés. Le contraste entre les cloches de l’église et les tambours des temples voisins résumait à lui seul le choc des cultures.
De 1900 à 1920 : naissance du « petit Paris » d’Asie
C’est au début du XXe siècle que le quartier prend son envol. Les autorités coloniales veulent faire de Hanoï la vitrine de leur empire. Inspirés par Paris, ils y reproduisent ses codes : larges avenues bordées d’arbres, kiosques, jardins à la française et édifices majestueux.
Le petit Paris d'Asie
Des établissements prestigieux voient le jour. Les cafés, aux nappes immaculées et aux murs décorés de toiles impressionnistes, deviennent des lieux de rencontre privilégiés. Les hôtels chic aux façades cossues invitent à la détente dans une atmosphère feutrée, tandis que les cinémas, aux lignes Art déco typiques, projettent les derniers films muets, en avant-première dans les années 1910. Les théâtres, eux, accueillent des troupes venues de France, qui rendent hommage à Molière, Racine, et aux classiques du répertoire théâtral européen. La ville se transforme en un véritable foyer de culture européenne, tout en restant ancrée dans sa tradition vietnamienne.
À cette époque, l’ao dài, traditionnel costume vietnamien, subit une transformation notable : les dames vietnamiennes, influencées par la mode parisienne, adoptent un ao dài modernisé, ajusté à la silhouette et agrémenté de touches occidentales, une fusion harmonieuse entre deux mondes. Cet entrelacement des cultures, visible jusque dans les moindres détails, devient un signe distinctif du quartier.
Un témoignage de l’époque évoque la douce effervescence des dimanches matin : les familles françaises sortaient en promenade, les hommes en costume blanc, les femmes sous ombrelle, tandis que les enfants savouraient des glaces à la vanille à la terrasse du "Café de la Musique". Une ambiance douce et détendue, une scène vivante qui se déroule sous le ciel d’Hanoï. À cette époque, on disait de la ville qu'elle était « plus douce que Saïgon, plus raffinée que Paris ». Ces mots résumaient l’atmosphère unique d'Hanoï, un lieu où la beauté de l’Occident et l’héritage asiatique se rencontrent dans une danse subtile et intemporelle.
Rue Trang Tien : cœur battant du commerce colonial
La rue Trang Tien – connue autrefois sous le nom de rue Paul Bert – était le joyau commerçant du quartier français. Elle reliait le lac Hoan Kiem à l’Opéra, et ses trottoirs en pierre étaient foulés chaque jour par une foule élégante. C’était la destination shopping par excellence, où l’on trouvait les plus grandes enseignes : le Magasin Chaffanjon avec ses articles de luxe, Poinsard et Veyret pour la quincaillerie raffinée, ou encore les Grands Magasins Réunis qui proposaient de la vaisselle fine, des étoffes européennes, et même des parfums de Grasse.
Un chroniqueur français écrivait en 1912 : « C’est à Paul Bert que l’on trouve les plus belles robes de Saïgon et les derniers bonnets de Paris ». Des pousse-pousse décorés d’ombrelles colorées attendaient les clientes à la sortie, pendant que les cochers échangeaient les dernières rumeurs du quartier.
Aujourd’hui, bien que les enseignes aient changé, Trang Tien a conservé son élégance d’antan. On y trouve encore des galeries d’art, des librairies anciennes et la fameuse glacerie Trang Tien, héritière indirecte de cette époque.
L’opéra de Hanoï : joyau de l’ancien quartier français
Majestueusement posé au bout de la rue, l’opéra de Hanoï est sans doute l’un des plus beaux édifices de la capitale. Inspiré de l’opéra Garnier, il allie harmonieusement les styles néo-baroque et classique français. Sa construction, entamée en 1901, dura dix ans, ralentis par les inondations fréquentes de la ville.
L’anecdote raconte qu’il fallut couler des centaines de pieux de bambou pour stabiliser le sol marécageux - une prouesse technique à l’époque. Inauguré en 1911, l’opéra devint immédiatement un haut lieu de la vie mondaine. On y jouait des opéras français, des concerts de musique classique, mais aussi des spectacles traditionnels vietnamiens adaptés au goût européen.
Le 17 août 1945, l’histoire bascula : c’est ici qu’une immense réunion publique fut organisée pour proclamer la création du Vietminh et appeler à l’indépendance du pays. Ce jour-là, les chants révolutionnaires remplacèrent les airs d’opéra, et l’édifice colonial devint le théâtre d’une nouvelle ère.
Aujourd’hui, l’opéra accueille de nombreux spectacles. Chaque lundi et vendredi matin, ses portes s’ouvrent pour des visites guidées. On peut y admirer les dorures de la salle de spectacle, ses velours rouges, ses fresques d’inspiration florale, et même monter sur scène. Un moment magique pour revivre l’élégance d’autrefois.
Les autres joyaux du quartier français à ne pas manquer
Le Sofitel Legend Metropole : une adresse mythique
Ouvert en 1901, le Sofitel Legend Metropole n’est pas un simple hôtel – c’est un pan d’histoire à lui tout seul. Fréquenté par Charlie Chaplin, Graham Greene, Jane Fonda ou encore François Mitterrand, il a traversé les époques sans perdre de son raffinement.
Sa façade blanche, ses stores verts, son patio ombragé et ses deux Citroën Traction Avant stationnées devant lui donnent le ton. On y sert toujours le thé de l’après-midi à la mode britannique, dans la salle où Somerset Maugham aimait écrire. Pendant la guerre du Vietnam, un abri antiaérien y fut aménagé en secret sous les cuisines – il est aujourd’hui ouvert aux visiteurs.
La résidence supérieure du Tonkin
Devenue maison d'hôtes du gouvernement vietnamien d'aujourd'hui, le bâtiment a été construite en 1919 pour être la résidence supérieure du Tonkin. Ce monument est un bijou d’architecture. Dessinée par Adolphe Bussy, elle évoque un hôtel particulier parisien : grande marquise vitrée, escaliers monumentaux, colonnades élégantes. De son balcon, les gouverneurs du Tonkin observaient autrefois les défilés militaires ou recevaient les ambassadeurs étrangers.
Aujourd’hui, ce bâtiment n’est pas ouvert au public, mais son extérieur mérite largement le détour pour une belle photo.
L’ancienne Banque d’Indochine
Édifiée en 1930 par Georges-André Trouvé, cette banque est l’un des plus beaux exemples d’architecture Art Déco en Asie du Sud-Est. Lignes géométriques, frises stylisées, colonnes massives – tout y respire la puissance et la modernité. Ce bâtiment fut un centre névralgique de l’économie coloniale, où se prenaient les grandes décisions financières de l’époque. On raconte que les employés de banque, en costume trois pièces, y entraient chaque matin en saluant les gardes en uniforme colonial. Aujourd’hui, le bâtiment est utilisé par une banque vietnamienne, mais l’âme du lieu subsiste.
L’université d’Indochine : berceau du savoir vietnamien
Fondée en 1906, l’université d’Indochine fut la première institution d’enseignement supérieur du pays. Son ambition était immense : former une élite franco-vietnamienne capable de diriger le pays. On y enseignait la médecine, l’agriculture, les arts, le droit… dans des bâtiments conçus par Ernest Hébrard, pionnier de l’architecture indochinoise.
L’université devint un centre d’effervescence intellectuelle. Des étudiants venus de toute l’Asie s’y retrouvaient, échangeant des idées, des rêves, des manifestes. Plusieurs figures de l’indépendance vietnamienne y firent leurs études, dans un mélange fascinant d’influences occidentales et de traditions orientales.
Un quartier entre nostalgie coloniale et modernité vietnamienne
Aujourd’hui, l’ancien quartier français de Hanoï continue de vivre, de se transformer, mais sans jamais renier ses racines. À chaque coin de rue, l’histoire affleure, dans la silhouette d’une villa oubliée, dans un balcon en fer forgé, dans un café qui exhale encore un parfum d’Indochine.
Ce quartier est bien plus qu’un vestige du passé : il est une invitation à ralentir, à écouter les échos d’une époque révolue, et à comprendre comment le Vietnam a su, à sa manière, transformer l’héritage colonial en une richesse culturelle unique.
Petite vidéo par l'équipe d'Authentik Vietnam
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