Hanoï et ses cris de rue : symphonie pour nos cinq sens
- Mis à jour le 5 Juin, 2024 Par: Thuy Van NGUYEN
Depuis des temps immémoriaux, les cris des vendeurs ambulants animent en permanence les rues de Hanoï. Aujourd’hui encore, ces sonorités particulières continuent de donner à la capitale vietnamienne une ambiance unique et attrayante, en particulier pour les voyageurs étrangers qui découvrent ce spectacle sonore pour la première fois. Ces bruits, loin d’être de simples nuisances, nourrissent notre imaginaire exotique, nous transportant dans un univers où se mêlent mélodies, saveurs, odeurs ou couleurs, éveillant ainsi nos cinq sens.
Un cadeau sonore gratuit
Les premiers cris des colporteurs ont apparu pour la première fois à Hanoï sous la dynastie des Lý. À cette époque, Thang Long (ancien nom de Hanoï) ne comptait que quelques marchés tels que Bach Ma (successeur du marché Cua Ðông de la dynastie des Trân), marché de Câu Ðông, et le marché de Ðông Xuân construit par les Français en 1889. Beaucoup de vendeurs n’avaient pas de place fixe dans ces grands marchés et devaient donc parcourir les rues, criant leurs marchandises pour attirer l’attention des passants et gagner leur vie. Le son de leurs cris est ainsi devenu indissociable de l’image des vendeurs ambulants, caractéristique unique de la capitale.
Ces colporteurs, avec leurs métiers traditionnels et leurs corporations commerciales, ont façonné l’identité des rues de Hanoï. Les restaurants ont envahi les trottoirs et les habitations, répondant aux besoins de tous. C’est ainsi que sont nés les cris des vendeurs ambulants, un moyen de signaler leur présence et d’annoncer leurs marchandises.
Edmond Nordemann, un chercheur français, a écrit en 1894 dans son livre intitulé “Chrestomathie Annamite” qu’il y avait 30 types de sons de cris dans les rues de Hanoi. Certains de ces cris existent encore, tandis que d'autres ont disparu avec les produits ou services qu’ils annonçaient. De nouveaux cris sont apparus avec l’arrivée de nouveaux produits. Pendant les années 1920, les cris provenaient principalement de vendeurs de plats à manger. Au fil des décennies, les cris se sont diversifiés pour inclure des services variés : de l’achat de déchets et ferraille aux aiguiseurs de couteaux, en passant par la vente de savons ou d’articles haut de gamme comme la soie.
( Une photo de To Ngoc Van sur le cris de rue de Hanoi)
Les cris des vendeurs ambulants se sont non seulement diversifiés en termes de variété, mais aussi en termes de technique. Ce sont des chansons bien rythmées, faciles à écouter, à comprendre et à imiter pour les petits enfants. Ces appelles mélodieuses sont devenues une partie intégrante du paysage sonore de Hanoï, offrant un spectacle unique et gratuit à tous ceux qui y vivent ou y passent.
"Quelqu'un veut du riz gluant ?", "Voici du pain chaud et croustillant", "Qui veut du banh khuc chaud "... sont des appels familiers concernant des choses à manger pour ceux qui manquent des repas, ceux qui travaillent tard le soir ou tôt le matin...
La diversité et l’innovation des cris
Les produits proposés étaient divers, allant des ustensiles ménagers aux petits services tels que l’achat ou la récupération des déchets et ferraille,la plastification de documents importants pour éviter les dommages, ou encore le broyage de poudre pour les familles ayant des bébés en âge de sevrage. Les plats de rue, comme le bánh mì, le riz gluant cuit à la vapeur, les glaces et les bonbons, faisaient également partie de cette riche offre.
Un livre publié en 1928 par l’École des Beaux-arts de l’Indochine présente des tableaux dessinés par des professeurs étrangers et étudiants de cette école,représentant les vendeurs ambulants de Hanoï. Ces illustrations capturent non seulement les postures, visages et mouvements des marchands, mais aussi tentent d’enregistrer leurs cris en notes musicales, afin de conserver cette caractéristique unique de la vie quotidienne hanoienne en images et en sons.
Malgré les vicissitudes du temps, les cris des vendeurs ambulants de Hanoï perdurent encore aujourd’hui. De simples annonces signalant l’arrivée du marchand et la nature de ses produits ou services, ces cris se sont transformés en vers poétiques, ponctués de moments forts pour attirer l’attention des passants. Peu à peu, ces appels sont devenus des éléments incontournables du quotidien hanoïen, perçus comme un cadeau sonore gratuit pour ceux qui visitent la capitale. Ainsi, les cris de Hanoï ne sont pas seulement une tradition sonore, ils sont une véritable symphonie pour les cinq sens, une invitation à plonger au cœur de la culture et de l’histoire de cette ville fascinante. Pour les habitants comme pour les visiteurs, ils sont un témoignage vivant de la richesse et de la diversité de la vie urbaine hanoïenne.
Une mesure de l’humeur émotionnelle des vendeurs ambulants.
Au-delà de leurs voix, les ces vendeurs ambulants de Hanoï cherchent constamment à faciliter la diffusion de leurs annonces tout en inventant des outils pour diffuser leurs propres mélodies. Cependant, ces sons gratuits ne sont pas toujours les mêmes. Lorsque le commerce du jour marche bien, le cris est fort et joyeux. Si le travail est lent, l’annonce devient incohérente et fatiguée. C’est ce que nous partage un vieux vendeur de nôm. un plat de rue populaire, composé de divers ingrédients, qu’il propose sur les trottoirs de Hanoï. “À chaque vendeur son rythme de cri”, explique-il. “Moi quand j’arrivais dans la rue, je prenais un bâton de bois de 20 centimètres pour frapper sur une boîte en bois afin d’annoncer mon plat. Pour les habitants de la rue, ces sons sont déjà familiers et ils m'appellent s’ils veulent le prendre. Pour les passants, certains me regardent pour deviner le plat, tandis que d’autres me demandent et je leur répond.Je frappe chaque jour suivant le rythme du tambour de la danse des licornes, et quand je suis fatigué, les sons deviennent plus lents et incohérents”.
Une spécialité de Hanoï
Les cris des vendeurs ambulants sont omniprésents au Vietnam. Mais pourquoi ces sons sont-ils considérés comme une spécialité de Hanoï”. “Les cris se distinguent particulièrement dans cette ville”, explique un vendeur ambulant de Hanoï. “Hanoï, en tant que capitale, est un lieu de convergence pour tous types de commerces, rendant l’ambiance souvent animée et bruyante. Pour annoncer quelque chose, les vendeurs cherchent à être plus forts ou les plus différents pour que leur cri ne soit pas étouffé, assurant d’attirer l’attention des passants.”. C'est peut-être pour cette raison que les cris à Hanoï sont plus charmants et élégants que ceux des régions rurales,où il n'y a pas autant de bruit et d'agitation. À Hanoï, chaque cri est soigneusement modulé pour se démarquer dans le brouhaha quotidien
"Si vous habitez à Hanoï pendant des années, les cris nocturnes deviennent une partie inaltérable de votre vie. On les attend résonner avec impatience chaque nuit : “Voici du bánh khúc chaud”, “voici du pain croustillant”, “voici du bánh mì chaud”…..À ce moment là, même si je suis allongée sous la couverture, j’ai envie de me lever et de manger. Tous ces cris ont créé une caractéristique unique de Hanoi”, confie une hanoïenne.
Les cris des vendeurs ambulants ne sont pas seulement des annonces commerciales, ils forment une véritable mélodie qui rythme la vie quotidienne des hanoïens. Chaque cri, qu'il soit fort et joyeux ou plus doux et mélancolique, raconte une histoire, celle d’une ville dynamique où chaque coin et recoin de rue vibre au son de l’activité humaine.
La tradition qui perdure et qui évolue
Avec le temps, les vendeurs ambulants de Hanoï ont aussi su s’adapter aux évolutions technologiques. Certains utilisent désormais des haut-parleurs portatifs ou des enregistrements pour amplifier leurs cris et les rendre plus constants. Les réseaux sociaux et les applications de livraison leur permettent également d’élargir leur audience et de maintenir le lien avec leur clientèle fidèle. Malgré les changements, l’essence des cris de Hanoï reste intacte. Ils continuent de représenter un héritage vivant, une tradition sonore qui captive et séduit autant les habitants que les visiteurs. Ces cris ne sont pas seulement des appels à la vente, mais un véritable symbole de l’identité et de la culture hanoïenne, une symphonie quotidienne qui éveille les sens et le cœur de tous ceux qui traversent les rues de cette ville fascinante.
L’Art du cri : Technique et temporalité
Les cris des vendeurs ambulants ne sont pas improvisés. Ils suivent une méthode précise. POur dresser un cri efficace, le marchand doit tenir compte de plusieurs éléments :
Clarté et projection : Le cri doit être clair et porter loin pour être entendu par un maximum de personnes. Les vendeurs expérimentés maîtrisent la projection vocale, utilisant des techniques de respiration et d’articulation pour optimiser la portée de leur voix.
Rythme et mélodie : Un bon cri doit avoir un rythme et une mélodie qui attirent l’attention. Certains vendeurs ajoutent des inflexions musicales, rendant leur appel plus mémorable et distinctif.
Simplicité et répétition : Le message doit être simple et répété régulièrement pour être facilement compris et retenu par les passants. Par exemple, un vendeur de bánh mì pourrait répéter “bánh mì chaud et croustillant” (bánh mì nóng giòn)
Le timing est crucial pour l’efficacité des cris des vendeurs ambulants. Différents types de marchandises et de services ont leurs moments propices :
Matin : Les vendeurs de petit-déjeuner, comme ceux proposant des bánh mì, du riz gluant cuit à la vapeur….commencent leurs cris tôt le matin pour attirer les travailleurs en route pour leurs bureaux.
Midi : On écoute souvent les cris des dong nat à midi, ceux qui achètent et récupèrent des déchets et ferraille.
Après-midi : Les vendeurs de snacks de l’après-midi, de glaces et de boissons fraîches se manifestent plus tard dans la journée, profitant des températures plus fraîches et de l’affluence des rues.
Du soir à minuit : Du soir à minuit, c’est le moment destiné aux vendeurs ambulants de bánh khúc chaud, de bánh mì croustillants, du riz gluant cuit à la vapeur…..
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